- VARSOVIE (PACTE DE)
- VARSOVIE (PACTE DE)«Il y a aujourd’hui sur la terre deux grands peuples [...] les Russes et les Anglo-Américains [...] chacun d’eux semble appelé par un dessein secret de la Providence à tenir un jour dans ses mains les destinées de la moitié du monde.» Cette prophétie d’une singulière lucidité que prononça Alexis de Tocqueville dans le contexte de politique internationale de 1835 préfigurait la bipolarisation du monde issue de la Seconde Guerre mondiale et la constitution de deux blocs militaires antagonistes: l’O.T.A.N. (Organisation du traité de l’Atlantique Nord) et le pacte de Varsovie. Si l’habitude s’est établie de présenter le second comme symétrique du premier, l’homologie ne doit pas être généralisée. La politique extérieure de l’U.R.S.S., inspirée par un dessein de sécurité, s’est orientée selon une double direction: d’une part, la recherche systématique de la coexistence pacifique avec les pays occidentaux; d’autre part, l’établissement d’une zone d’influence, groupant autour de l’U.R.S.S. des États socialistes appelés à jouer le rôle d’un «glacis» stratégique et économique. Le pacte de Varsovie est devenu, depuis sa conclusion le 14 mai 1955, l’instrument privilégié de cette politique. Organisation de défense du camp socialiste, il se distinguait de l’O.T.A.N. par son origine, par son organisation, par son fonctionnement et par sa politique.À la suite de l’effondrement du bloc socialiste, sa structure militaire puis sa structure politique ont été dissoutes, respectivement en février et en juillet 1991.Origine: le problème allemandLe réarmement de l’Allemagne a représenté pour l’U.R.S.S., à partir de 1945, un danger majeur, celui de voir aux portes du monde socialiste un peuple qu’elle qualifiait de «revanchard» et qui faisait, selon Moscou, planer de nouveau sur l’Europe la menace de la guerre totale. Il convenait donc d’organiser la défense de l’Europe de l’Est à l’égard d’une éventuelle agression de l’Allemagne occidentale.Les accords de ParisLe pacte signé à Varsovie le 14 mai 1955 constituait la réplique du camp socialiste aux accords de Paris en 1954, qui ouvraient les portes de l’O.T.A.N. à la république fédérale d’Allemagne.Pour l’U.R.S.S., le but des accords de Paris était de lever les obstacles qui se dressaient sur la voie de l’accroissement du potentiel militaire ouest-allemand; elle se souvenait en effet de l’utilisation que l’Allemagne avait faite de ses forces militaires durant deux guerres mondiales.Le gouvernement soviétique avait protesté, par une note diplomatique, contre ces accords et proposé la réunion, à Moscou, d’une conférence groupant tous les États européens pour élaborer un système de sécurité collective. Les Occidentaux ayant refusé d’y participer, elle se tint sans eux à Moscou du 25 novembre au 2 décembre 1954. Les diverses démarches de l’U.R.S.S. en vue d’empêcher la ratification des accords de Paris furent vaines. Les Soviétiques devaient donc agir en deux temps: d’une part, le Soviet suprême décréta l’abrogation des traités anglo-soviétique de 1942 et franco-soviétique de 1944; d’autre part, le gouvernement russe organisa une réunion des démocraties populaires à Varsovie, le 11 mai 1955, quelques jours après la ratification des accords de Paris.Devant la Conférence, Nikolaï Boulganine devait déclarer que désormais les traités bilatéraux d’amitié et d’assistance mutuelle entre les États socialistes devenaient insuffisants pour garantir la paix et que de nouvelles mesures multilatérales s’imposaient. Le pacte de Varsovie, signé quelques jours plus tard, devait permettre leur mise en œuvre. Son préambule rappelait que l’accord s’était fait compte tenu de la situation créée en Europe à la suite de la ratification des accords de Paris. La participation de l’Allemagne occidentale en voie de remilitarisation à l’Union de l’Europe occidentale et son intégration au bloc nord-atlantique augmentaient le danger d’une nouvelle guerre et créaient une menace pour la sécurité des États socialistes: dès lors devait s’organiser la légitime défense préventive.La sécurité collective régionaleDepuis la Seconde Guerre mondiale, les organisations internationales de défense et de sécurité se sont multipliées: O.T.A.N., pacte de Bagdad et Central Treaty Organization (Cento), pacte de Rio, Organisation du traité de l’Asie du Sud-Est (O.T.A.S.E.), Traité d’assistance mutuelle Australie-Nouvelle-Zélande (A.N.Z.U.S.), par exemple. Ces organisations, qui ont toutes une compétence régionale, ont un degré d’intégration et une efficacité variables; les États-Unis participent à un grand nombre d’entre elles.Le pacte de Varsovie organisait la défense de l’Europe de l’Est. Selon l’article 4: «En cas d’agression armée en Europe contre un ou plusieurs des États signataires du traité, de la part d’un État quelconque ou d’un groupe d’États, chaque État signataire du traité exerçant son droit à l’autodéfense individuelle ou collective, conformément à l’article 51 de la Charte de l’Organisation des Nations unies, accordera à l’État ou aux États victimes d’une telle agression une assistance immédiate, individuellement ou par entente avec les autres États signataires du traité par tous les moyens qui lui sembleront nécessaires, y compris l’emploi de la force armée.» Par ailleurs, les parties contractantes s’engageaient à prendre les autres mesures concertées nécessaires pour consolider leur capacité défensive, «de façon à protéger le travail pacifique de leurs peuples, à garantir l’intégrité de leurs frontières et territoires et à assurer la défense contre toute agression éventuelle» (art. 5).La mise en œuvre de ces engagements aurait pu être assurée dans le cadre des accords bilatéraux conclus entre les pays socialistes au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. La standardisation des forces armées qui existait depuis 1952 constituait déjà un facteur de coordination efficace, mais de nouvelles perspectives de développement s’ouvraient par la création d’une organisation fortement structurée.Intégration militaire de l’Europe de l’EstLe pacte de Varsovie groupait à l’origine huit démocraties populaires: l’U.R.S.S., la Roumanie, la Bulgarie, la Hongrie, la Pologne, la Tchécoslovaquie, la République démocratique allemande et l’Albanie. Cette composition est moins large que celle du Conseil de l’aide économique mutuelle (C.A.E.M., ou Comecon) auquel participent également la Mongolie, le Vietnam et Cuba. De fait, la qualité de membre s’acquiert difficilement et les fonctions imparties au pacte sont de caractère essentiellement stratégique.L’admission et le retraitL’article 9 du traité dispose que celui-ci est ouvert aux autres États qui, indépendamment de leur régime social et politique, se déclareraient prêts à contribuer, en participant au traité, à l’union des efforts des États pacifiques dans le dessein d’assurer la paix et la sécurité des peuples.Cette disposition ne signifie pas que le pacte de Varsovie ait été une organisation largement ouverte. Comme toutes les institutions politiques, il était fondé sur le système de l’admission. La qualité de membre s’acquérait non par un acte unilatéral du nouveau membre mais par une décision des États signataires, après le dépôt d’un acte de candidature entre les mains du gouvernement dépositaire, en l’occurrence de la république populaire de Pologne.En pratique, l’article 9 n’a jamais joué et aucun nouveau membre n’a adhéré au pacte depuis le mois de mai 1954. En revanche, la Hongrie a tenté de s’en retirer et l’Albanie a effectivement quitté l’organisation.Après l’invasion des troupes soviétiques, le 1er novembre 1956, Imre Nagy, alors chef du gouvernement, adressait au secrétaire général de l’O.N.U. un télégramme selon lequel le gouvernement hongrois aurait répudié le pacte de Varsovie et déclaré le pays neutre, après en avoir avisé l’Union soviétique. Mais le gouvernement Kádár, qui lui succédait, adressait, trois jours plus tard, un autre message au secrétaire général de l’O.N.U. déclarant sans valeur légale et annulant rétroactivement le télégramme d’Imre Nagy. Depuis lors, la Hongrie participa aux activités du pacte et les troupes hongroises se trouvaient en 1968 aux côtés des Soviétiques, au cours des opérations en Tchécoslovaquie.À la suite de cette intervention, en septembre 1968, l’Assemblée populaire d’Albanie tenait une session au cours de laquelle le président du Conseil des ministres, Mehemet Chehou, affirmait que le pacte de Varsovie était devenu «un instrument du révisionnisme soviétique dans son asservissement et son agression exercés contre les peuples des pays membres».Le 13 septembre, l’Assemblée adoptait un décret selon lequel le pacte de Varsovie avait été violé et que, «de moyen de défense contre l’agression impérialiste, il avait été transformé en moyen d’agression contre ses propres membres». Le décret indiquait que la république populaire d’Albanie était désormais libérée de toutes ses obligations découlant du traité, qu’elle dénonçait. En fait, elle n’y participait plus depuis 1960-1961, époque de sa rupture avec Moscou.L’organisation intégréeDepuis la conclusion du pacte, la standardisation des forces armées des huit pays, commencée dès 1952, se développe dans de multiples directions.L’organisation des forces militaires des pays membres a été calquée, à tous les niveaux, sur celle de l’U.R.S.S. En 1969, à Budapest, une nouvelle réglementation a été approuvée à l’unanimité par les pays membres. Le ministre de la Défense était généralement un chef militaire de haut rang assurant des fonctions de direction dans le Parti communiste de son pays. La structure des divers services (opérations, organisation, mobilisation, transports, renseignements, topographie cryptographie et histoire militaire) était identique dans les sept états-majors. Le niveau de standardisation du matériel et de l’armement, favorisant la coordination des opérations en temps de guerre et la production militaire en temps de paix, était plus poussé que pour l’O.T.A.N.Des manœuvres combinées eurent régulièrement lieu à partir de 1961 à l’extérieur du territoire soviétique. En octobre 1970, sous le nom de code «Fraternité d’armes», elles se sont déroulées en R.D.A., dirigées pour la première fois par un officier est-allemand, le général Heinz Hiffmann.L’institution suprême du pacte de Varsovie était le Commandement unifié, créé par un communiqué annexé au traité du 14 mai 1955. Son règlement a été adopté en janvier 1956 à la session de Prague du Comité consultatif politique en même temps qu’étaient créés deux organes subsidiaires: la commission permanente et le secrétariat.Les fonctions du commandant en chef ont été successivement exercées par le maréchal I. S. Koniev, remplacé en 1961 par le maréchal A. A. Grechko et en 1967 par le maréchal Ivan Yakoubovski, puis par le maréchal Victor Koulikov. Cette continuité de la direction soviétique a été critiquée par la Roumanie, dont les liens avec le pacte se trouvèrent distendus. À la différence du pacte, la présidence du comité militaire de l’O.T.A.N. fut assurée, à tour de rôle, par l’un des chefs d’état-major alliés. Le commandant en chef des forces du pacte était assisté à titre d’adjoints par les ministres de la Défense ou d’autres chefs militaires des États membres; il disposait de l’état-major et d’une force unifiée intégrée. Un comité des ministres de la Défense des pays membres a été créé en avril 1969, à Budapest, pour renforcer la structure institutionnelle.Lorsque des problèmes de politique internationale se posèrent, ou qu’un danger menaça la paix, les consultations de politique générale ou consultations d’urgence, prévues à l’article 3 du traité, furent assurées par le comité consultatif politique. Ce comité exerça également un pouvoir d’examen pour toute question surgissant au cours de l’application du traité. Chaque État signataire y était représenté par un membre du gouvernement ou un délégué.Aucune disposition particulière ne décrit les procédures d’adoption des décisions. On a pu penser qu’elles étaient prises à l’unanimité, mais les opérations des armées du pacte en Tchécoslovaquie au cours de l’été de 1968, condamnées par les Albanais et désapprouvées par les Roumains, remirent en cause cette interprétation. Il s’est agi plus vraisemblablement de l’unanimité des présents .En janvier 1956, à la Conférence de Prague, le Comité a décidé qu’il se réunirait au moins deux fois par an et que la présidence serait assurée à tour de rôle par les représentants de chaque État. Les décisions générales du Comité relatives au renforcement de la capacité défensive et à l’organisation des forces du pacte étaient obligatoires pour le commandement unifié, mais celui-ci garda son autonomie dans son propre domaine militaire.Le Comité a créé une commission permanente siégeant à Moscou. Elle était chargée de faire des recommandations sur les problèmes de politique internationale, en vue de l’élaboration d’une politique commune. Un secrétariat eut également son siège à Moscou, au ministère des Affaires étrangères.La coordination de la défense socialisteLe fonctionnement de ces institutions démontre que l’intégration était limitée et que le pacte, malgré le développement de ses activités dans les derniers temps, n’a pas supplanté les liaisons bilatérales établies au sein du camp socialiste. Il assurait surtout un rôle de coordination sur le plan fonctionnel et confirmait une dépendance des démocraties populaires à l’égard de l’U.R.S.S. dès lors que se posaient des problèmes d’armement stratégique ou d’opérations militaires.Les accords de défense bilatérauxPlus de quarante traités d’amitié, de coopération et d’assistance mutuelle avaient été signés entre les sept États, avant la conclusion du pacte de Varsovie. On aurait pu croire que ce dernier, créant une solidarité multilatérale, condamnait à la désuétude les accords bilatéraux antérieurs. Or, au lendemain du XXe congrès du Parti communiste d’Union soviétique et après les événements de Hongrie, le gouvernement de l’U.R.S.S. publiait, le 30 octobre 1956, une déclaration sur les bases du développement et du renforcement de l’amitié et de la coopération entre l’Union soviétique et les autres États socialistes. L’objet de cette déclaration était d’exposer le point de vue des Soviétiques sur leur intervention en Hongrie, mais aussi de donner une impulsion aux relations bilatérales de ces pays avec Moscou.En effet, quinze jours plus tard, l’U.R.S.S. entamait des négociations destinées à re-conduire les traités bilatéraux conclus au lendemain de la guerre. Ces nouveaux accords rappelaient généralement la résolution exprimée par les signataires de respecter les engagements multilatéraux assumés au titre du pacte. Le bilatéralisme renforçait donc le multilatéralisme, mais ces engagements ne privaient pas les États membres de toutes les prérogatives attachées à leur souveraineté. Ainsi, le stationnement des troupes étrangères sur le territoire d’un État membre demeurait soumis à son accord. Le traité de Varsovie rappelle qu’il est conclu «conformément aux principes du respect, de l’indépendance et de la souveraineté des États, ainsi que de la non-ingérence dans les affaires intérieures...». Dès lors, les troupes soviétiques ne pouvaient stationner sur le territoire des États membres qu’en vertu d’une nouvelle série de traités bilatéraux, dont celui du 16 octobre 1968 pour la Tchécoslovaquie.Ces différents traités contenaient généralement des dispositions identiques: la présence de l’armée russe était temporaire; le choix des terrains de manœuvre était soumis à l’approbation des organismes gouvernementaux du pays; les délits commis par les militaires soviétiques sur le territoire relevaient du droit local, sauf si ces actes répréhensibles avaient été commis contre l’U.R.S.S. ou contre des personnes appartenant aux forces armées de l’U.R.S.S. Le traité soviéto-allemand ajoutait que les forces soviétiques gardaient le droit d’utiliser les casernes, aérodromes, terrains de manœuvres, voies ferrées, etc., dont elles disposaient à la signature du traité.Les troupes stationnées sur le territoire des pays membres avaient une compétence limitée en ce qui concerne le maintien de la paix et de la sécurité collective régionale; leur utilisation était soumise à des conditions précises stipulées non par les accords de stationnement mais par le pacte de Varsovie. Son article 8 exclut, en effet, toute opération de police ou de maintien de l’ordre public. L’utilisation des forces du pacte est également impossible pour faire échec à une guerre civile. Cette impossibilité est d’ailleurs renforcée par l’article 4 qui limite l’assistance aux seuls cas d’agression armée contre un pays membre «de la part d’un État ou d’un groupe d’États ». On comprend dès lors que ces deux articles aient été invoqués en 1956 et en 1968 pour condamner les opérations en Hongrie et en Tchécoslovaquie. Dans aucune des deux situations, il n’y avait «agression [...] de la part d’un État quelconque ou d’un groupe d’États». Dans les deux cas, les Soviétiques se sont efforcés de démontrer que l’assistance immédiate peut être déclenchée contre toute tentative d’éléments armés qui, de l’intérieur du pays, aurait porté atteinte à son indépendance ou au socialisme. A fortiori, ont-ils ajouté, cette assistance est-elle nécessaire si ces éléments sont dirigés ou aidés de l’extérieur.La dépendance opérationnelleProgressivement, les alliés étaient devenus étroitement dépendants de l’U.R.S.S. pour la plupart des armes importantes. La majeure partie des forces terrestres du pacte était fournie par l’U.R.S.S. Ces forces étaient réparties en quatre groupes: le premier au nord avec l’état-major de Legnica en Pologne, le deuxième au sud avec l’état-major de Tököl en Hongrie, près de Budapest, le troisième en Allemagne orientale avec l’état-major de Wünsdorf, près de Berlin-Est, et le quatrième au centre avec l’état-major de Milovice. L’armement de ces forces terrestres était très perfectionné, particulièrement pour les troupes stationnées en U.R.S.S.; il était plus modeste pour les armées alliées. La plupart des pays de l’Europe de l’Est avaient installé des rampes de lancement de missiles sol-sol à courte portée; mais, selon l’Institute for Strategic Studies, il n’est pas prouvé que les ogives nucléaires de ces missiles aient été livrées aux pays en cause. Les missiles balistiques à moyenne portée (M.R.B.M.) et autres armes stratégiques étaient basés en U.R.S.S. et demeuraient placés sous contrôle soviétique.Le tableau 1 indique, en comparant les forces de l’O.T.A.N. et celles du pacte de Varsovie, la part de l’U.R.S.S. On notera que la prépondérance de l’Union soviétique est surtout marquée pour les secteurs Nord-Europe et Centre-Europe (colonne 1 du tableau 1).Coexistence pacifique et «souveraineté limitée»Le pacte de Varsovie a permis de coordonner l’action des pays socialistes en faveur de la coexistence pacifique et de maintenir les démocraties populaires dans un système interdisant toute diversification dont l’effet aurait été un relâchement des liens économiques et politiques avec l’U.R.S.S.La coexistence pacifiqueLa déclaration finale de la première réunion du comité consultatif politique rappelait l’attachement des participants à la solution négociée des conflits internationaux et leur condamnation du recours à la force ou à la menace. Elle stigmatisait la création de blocs militaires «agressifs» et la course aux armements; elle exprimait la sympathie des pays socialistes pour les pays afro-asiatiques et accordait l’appui sans réserve du camp socialiste aux décisions de la Conférence de Bandoung en 1957 (cf. AFRO-ASIATISME). La déclaration proposait la dénucléarisation des deux Allemagnes. Le 24 mai 1958, les ministres des huit pays, auxquels s’étaient joints, en qualité d’observateurs, deux représentants de la Chine communiste, décidaient la réduction de leurs effectifs militaires. Ils souscrivaient au célèbre plan Rapacki, proposé par le ministre des Affaires étrangères de Pologne le 20 octobre 1957 à l’O.N.U., selon lequel il convenait d’établir une zone dénucléarisée en Europe, zone couvrant les deux Allemagnes, la Pologne et la Tchécoslovaquie. Par ailleurs, les ministres réunis à Moscou proposaient un traité de non-agression avec l’O.T.A.N.Entre 1960 et 1966, les diverses réunions reprirent généralement ces thèmes. Puis, à Budapest, le 17 juin 1966, les ministres du pacte de Varsovie lancèrent l’idée d’une conférence européenne sur la sécurité. À l’époque, cette initiative ne fut pas très favorablement accueillie par les États de l’O.T.A.N., sauf la France, qui lui marqua un certain intérêt. Les chances de succès d’une telle conférence se sont multipliées dès que le problème initial, celui de l’Allemagne, a perdu de son acuité avec la politique d’ouverture à l’Est pratiquée par le chancelier Brandt. Le dessein d’ouvrir plus largement ce marché aux industries allemandes n’est certainement pas étranger à cette orientation. Elle s’est traduite rapidement par une détente et une multiplication des accords économiques puis politiques entre la république fédérale d’Allemagne et les pays de l’Est. En 1970, la R.F.A. a signé des traités avec l’U.R.S.S. et la Pologne qui consolident le règlement territorial de Potsdam (août 1945). Elle a établi des contacts avec la Tchécoslovaquie et déclaré reconnaître que les accords de Munich (1936) étaient nuls et non avenus. Le climat ainsi réalisé a favorisé la conclusion, le 3 septembre 1971, de l’accord quadripartite sur Berlin-Ouest, qui règle le problème posé par la circulation des personnes et des marchandises sur le territoire de la R.D.A. Enfin, le 8 novembre 1972, le traité entre les deux Allemagnes a rapproché les «frères séparés» en constatant la qualité étatique de la R.D.A. Il a consacré la normalisation des rapports interallemands et l’Ostpolitik de Brandt. Mais cette politique ne s’est développée qu’à partir de 1969, ce qui explique en partie le retard avec lequel les partenaires occidentaux de la R.F.A. ont accepté l’idée de la conférence européenne sur la sécurité.La «souveraineté limitée»La déclaration de Leonid Brejnev du 2 juillet 1968, selon laquelle «l’U.R.S.S. ne peut être indifférente et ne le sera jamais aux destinées de la construction du socialisme dans les autres pays, ainsi qu’à la cause commune du socialisme mondial», est particulièrement significative. Prononcée peu avant l’intervention en Tchécoslovaquie, elle traduit l’une des préoccupations majeures de Moscou. En effet, l’U.R.S.S. n’a jamais toléré la moindre faille dans le «glacis» établi au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.La déclaration de 1968 a été interprétée par les Yougoslaves, les Albanais, les Chinois et les Roumains comme fondant une nouvelle conception des liens fondamentaux de la communauté des États socialistes: la doctrine Brejnev, ou doctrine de la «souveraineté limitée».Déjà, en 1956, les Soviétiques avaient été conduits à intervenir militairement en Hongrie, pour faire échec à la situation insurrectionnelle qui s’y développait. Les objectifs des insurgés visaient un socialisme moins rigoureux. Du point de vue interne, ils souhaitaient instaurer un multipartisme au sein duquel le Parti communiste n’aurait eu qu’une place secondaire. Sur le plan international, ils voulaient que la Hongrie se détachât du camp socialiste, dénonçât le pacte de Varsovie et accédât à la neutralité. La première intervention des troupes soviétiques à Budapest, le 23 octobre, se fit à la demande du gouvernement Nagy; la seconde, celle du 4 novembre, se fit contre son gré, à la demande des communistes hongrois groupés autour de János Kádár, resté fidèle à Moscou.En 1968, Antonín Novotný, qui dirigeait la Tchécoslovaquie depuis quinze ans, était remplacé par Alexander Dub face="EU Caron" カek, à la suite de divisions multiples au sein du parti. Soutenu par les intellectuels acquis aux théories économiques d’Ota Šik, qui préconisait l’établissement d’une économie de marché et une manière d’indépendance à l’égard du Comecon, Dub face="EU Caron" カek supprimait la censure en mars 1968. En mai, les intellectuels de Literany listy réclamaient la création d’un parti d’opposition. Le 27 juin, ils publiaient le manifeste des «deux mille mots» annonçant la possibilité d’une intervention et recommandant la constitution de comités de défense de la presse. Les réunions qui se tinrent avec les autres membres du pacte (sauf les Albanais et les Roumains) à Varsovie, à face="EU Caron" アerná et à Bratislava, au cours de l’été, ne permirent pas de convaincre les Tchécoslovaques; le 20 août, en moins de vingt-quatre heures, cinq cent mille hommes équipés de chars légers et de camions blindés, venus d’Allemagne orientale, de Bulgarie, de Pologne, de Hongrie et d’Ukraine, envahirent la Tchécoslovaquie, réduisant, par la force, la tentative de Dub face="EU Caron" カek de construire «un socialisme à visage humain».Le lendemain, devant le Conseil de sécurité de l’O.N.U., J. Malik, représentant de l’U.R.S.S., exposait en termes clairs la détermination de son gouvernement: «Tout changement dans l’équilibre des forces en Europe constituerait à l’heure actuelle une menace très grave pour la sécurité des peuples [...]. La décision unanime qui a été prise vise à repousser toute tentative de modifier l’ordre décidé à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, les résultats acquis et les frontières établies en Europe.»La conférence d’HelsinkiL’U.R.S.S. avait déjà évoqué l’idée d’une telle conférence en 1954. Reprise partiellement sous la forme du plan Rapacki et du plan Gomulka, elle n’avait pas été approuvée par les forces de l’O.T.A.N.Les organes du pacte de Varsovie reprenaient l’idée dans un programme en deux points, le 31 octobre 1969: une organisation de la sécurité européenne fondée sur la renonciation à l’usage de la force et aux menaces de l’usage de la force dans les relations entre États européens: un élargissement des relations commerciales, économiques, scientifiques et techniques sur la base de l’égalité de droits dans un esprit de coopération politique dans la même région. Dans un premier temps, la réplique de l’O.T.A.N. fut défavorable. Les Occidentaux ajoutaient à la proposition de l’Est un troisième élément, dit «troisième corbeille», élargissant l’ordre du jour aux échanges culturels et à une «plus grande liberté de circulation des personnes, des idées et des informations».La conférence, qui s’est tenue à Helsinki en juillet-août 1975, a regroupé trente-trois États européens (à l’exclusion de l’Albanie) et deux États américains, les États-Unis et le Canada. L’acte adopté à l’issu des débats comporte 4 chapitres. Sur les questions relatives à la sécurité en Europe (chap. I), l’Acte d’Helsinki réaffirme certains principes: égalité souveraine des États; nonrecours à la menace ou à l’emploi de la force; inviolabilité des frontières; intégrité territoriale des États; réglement pacifique des différends; non-intervention dans les affaires intérieures; respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, y compris la liberté de pensée, de conscience, de religion ou de conviction. En matière de coopération économique scientifique et technique (chap. II), l’Acte recommande notamment des mesures tendant à promouvoir: des facilités et des contacts; des échanges d’informations sur les possibilités commerciales et sur leurs conditions spécifiques; des dispositions applicables au règlement des litiges commerciaux y compris diverses formes d’arbitrage. Pour la coopération dans les domaines humanitaires (chap. III), l’Acte propose, en ce qui concerne les contacts entre les personnes, des rencontres régulières sur la base des liens de famille: réunion des familles, mariage entre ressortissants de différents États. Dans le domaine de l’information, le texte tend au développement de la diffusion de l’information parlée, écrite, filmée. Il propose ainsi l’amélioration des conditions d’exercice de leur profession pour les journalistes d’un État participant sur le territoire d’un autre État participant. Diverses dispositions, enfin, sont consacrées (chap. IV) à la sécurité et à la coopération en Méditerranée. La mise en œuvre de l’Acte d’Helsinki n’a pas été sans difficultés. Sa nature juridique elle-même engendre des débats, les uns y voyant des dispositions obligatoires pour les signataires, à la manière de celles figurant dans un traité (d’où le mot accords souvent employé à propos de cet Acte), les autres y trouvant de simples directives politiques non contraignantes.Sur le plan militaire, diverses mesures sont prévues, notamment la notification préalable de tout projet de manœuvres militaires. Ces notifications sont effectuées réciproquement depuis la conclusion de l’Acte.Les manœuvres de l’O.T.A.N. ont été notifiées le 4 janvier 1976; l’U.R.S.S. en a fait de même pour les manœuvres qu’elle a effectuées en janvier et février 1976. Les membres de l’O.T.A.N. n’ont cependant pas reçu d’invitation à déléguer des observateurs militaires à ces exercices, alors que des invitations avaient été lancées aux pays de l’Est pour qu’ils envoyassent des observateurs aux manœuvres de l’O.T.A.N. Ces invitations étaient restées sans réponse.Dans le domaine des libertés fondamentales et des droits de l’homme, en revanche, les résultats furent médiocres. Les conférences de Belgrade et de Madrid chargées d’examiner l’application du texte adopté le 1er août 1975 ont été le lieu de vifs affrontements entre certaines délégations. L’exil de l’académicien Sakharov en U.R.S.S., le sort des dissidents dans les différents pays socialistes d’Europe, les restrictions aux libertés d’information et d’expression furent considérées comme des transgressions de l’Acte d’Helsinki. En juin 1982, l’U.R.S.S. réduisait dans des proportions considérables les possibilités de communications téléphoniques entre les citoyens soviétiques et l’étranger. Les engagements sur la liberté de communication envisageaient une évolution différente.L’Acte d’Helsinki, pourtant, ne fut pas vain. Pour les défenseurs des droits de l’homme dans les pays de l’Est, il constitua une base de revendication essentielle. Les «comités de surveillance» créés dans divers pays du pacte de Varsovie depuis la création de la «Charte 77» en Tchécoslovaquie ne manquèrent pas de s’y référer régulièrement comme les syndicalistes polonais de «Solidarité».Les membres du pacte de Varsovie ont été très actifs dans les négociations sur le désarmement général et le désarmement en Europe. Après l’échec des S.A.L.T. 2, la relance des négociations a eu lieu en 1982 avec les S.T.A.R.T. (Strategic Arms Reduction Talks). L’enjeu était l’équilibre des forces dans le monde. En Europe, celui-ci était établi largement en faveur de l’Est (tabl. 2) et les discussions ne pouvaient pas éluder cette situation.Démantèlement du pacte de VarsovieCependant, dès le milieu des années 1980, les difficultés du monde socialiste ont rapidement fait changer la face des choses.En U.R.S.S. même, Mikhaïl Gorbatchev introduit une certaine libéralisation, pour remédier aux blocages des structures et aux lenteurs du développement économique; cette libéralisation touche aussi le domaine politique. Le même mouvement affecte les États membres du pacte de Varsovie: un dégel à l’intérieur des démocraties populaires auquel s’ajoute le même désir d’indépendance que celui qui se manifeste dans chaque république de l’Union.Les pays d’Europe centrale et orientale s’engagent dans un processus de désatellisation militaire et, peu à peu, le pacte de Varsovie se vide de toute substance: lors de sa première visite officielle à Moscou, les 26 et 27 février 1990, le président Václav Havel signe un accord prévoyant le retrait, avant le 30 juin 1991, des troupes soviétiques stationnées sur le sol tchécoslovaque, et le traité bilatéral d’assistance militaire est déclaré non reconductible: en mai 1990, la Hongrie, à son tour obtient que soient retirées de son territoire les troupes soviétiques; enfin, le 7 juin, les dirigeants des pays membres du pacte de Varsovie, réunis à Moscou, amorcent une transformation de l’alliance militaire en «un accord fondé sur une base démocratique, entre États souverains et de droits égaux». Allant plus loin, le 26 juin, le Parlement hongrois demande au gouvernement de négocier le retrait du pays du pacte de Varsovie; la R.D.A., engagée dans son processus d’unification étatique avec la R.F.A., est la première à franchir le pas: le 24 septembre, le Parlement est-allemand annonce officiellement le retrait de la R.D.A. du pacte de Varsovie.L’acte final se joue en février 1991: les ministres des Affaires étrangères et de la Défense des pays qui sont encore membres du pacte de Varsovie (U.R.S.S., Bulgarie, Hongrie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie) se réunissent à Budapest, le 25 février, pour dissoudre la structure militaire de l’ancien bloc socialiste. La structure politique de l’alliance sera également démantelée le 1er juillet, bien que l’U.R.S.S. eût souhaité la préserver pour garder un mécanisme de concertation avec les nouvelles démocraties de l’Europe de l’Est.À la fin de cette même année 1991, l’U.R.S.S. devait disparaître, et les républiques qui la constituaient ne parviendront pas à maintenir l’unité des forces militaires de l’ancienne Armée rouge.
Encyclopédie Universelle. 2012.